Lisa Falco : « Programmer a été une révélation »

Lisa Falco n’avait jamais prévu de débarquer dans le secteur des technologies. Elle pensait devenir médecin. Mais elle réalise alors que la science des données et les technologies lui permettent de décrypter le corps humain et résoudre des problèmes médicaux.

Auteur Digicomp
Date 16.09.2022
Temps de lecture 9 Minutes

La réussite dans le domaine des technologies n’est pas réservée aux geeks. Lisa Falco n’a jamais été passionnée par la technique en soi, mais plutôt par son application pratique. Depuis 20 ans, cette Suédoise de naissance exerce à la frontière entre la médecine et les technologies, sur la façon dont les données peuvent être utilisées pour mieux comprendre le corps humain – et plus particulièrement, celui des femmes.

Après des études de physique et un doctorat à l’EPFL à Lausanne dans le domaine du traitement des images biomédicales, Lisa Falco a travaillé comme experte en science des données dans différentes startups suisses, dans lesquelles elle a développé et accompagné jusqu’au lancement sur le marché des technologies médicales basées sur l’intelligence artificielle et le machine learning.  Par exemple dans des domaines comme la recherche sur les os, le diabète ou la fertilité. Au sein de la startup FemTech Ava, Lisa Falco développait des technologies portables qui aident les couples à concevoir un enfant plus rapidement. Comment ? Grâce à un suivi de données du cycle menstruel individuel comme la fréquence cardiaque ou la température corporelle, des algorithmes de Machine Learning peuvent être développés pour calculer le moment le plus propice à la conception.

Actuellement, Lisa Falco travaille comme Lead Consultant IA & Data pour Zühlke Group. En 2021 sort son premier livre, intitulé « Go Figure ! The Astonishing Science of the Female Body ».

Les femmes sont encore plutôt rares dans les technologies. Qu’est-ce qui a fait que vous vous soyez spécialisée dans l’intelligence artificielle et les données dans le domaine de la santé et des technologies médicales ?

Je n’avais, à la base, pas du tout pour objectif de travailler dans le domaine des technologies. J’ai commencé par étudier la physique parce que je voulais comprendre l’univers. Mais je ne savais pas du tout quoi faire de concret avec toutes ces formules mathématiques. C’est dans le cadre de mon master que je me suis penchée sur la programmation et le traitement des images et que j’ai suivi des cours sur les technologies médicales. La médecine m’intéressait depuis toujours, mais je n’aurais pas fait un bon médecin – je ne suis pas une caretaker (rires). La programmation a été pour moi une véritable révélation : programmer me permet de décortiquer la solution à un problème en de petites parties cohérentes – et soudain tout avait un sens. Pouvoir visualiser ce que je peux créer avec des mathématiques me passionne. Et parce que j’ai vu que j’étais capable de réaliser beaucoup de choses en médecine grâce à l’informatique, je suis restée dans ce domaine et j’ai ainsi concilié mes centres d’intérêt.

Quelles données peuvent être exploitées en médecine ? Quel rôle y joue l’intelligence artificielle ?

En recherche médicale, nous pouvons aujourd’hui collecter énormément de données. Les wearables (technologies portables connectées) permettent par exemple de mesurer la température corporelle ainsi que le rythme cardiaque et respiratoire. De plus, il y a aussi des données d’imageries telles que les radiographies ou des images de scanner. L’historique du patient peut également être enregistré et suivi de manière détaillée. Mais ça fait bien trop de données pour une personne ; on est littéralement submergé. C’est là que la technologie, l’analyse de données et l’IA sont utiles : pour extraire les informations pertinentes de toutes ces données.

Vous êtes particulièrement engagée pour la santé des femmes et pour que les femmes soient considérées à part en médecine. Pourquoi est-ce si important ?

La recherche sur la santé des femmes est particulièrement importante, parce qu’on ne part plus du postulat que l’organisme des femmes fonctionne de la même manière que celui des hommes. Nous sommes sur ce point très différentes : nous produisons d’autres hormones et d’autres enzymes, et digérons donc les médicaments d’une autre façon. Notre cycle influence également notre organisme, notre conscience de notre corps, notre cerveau et notre digestion. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas comment le cycle menstruel peut interférer avec l’absorption des médicaments. Pendant nos années de fertilité, les femmes sont très bien protégées contre la démence, Alzheimer, l’ostéoporose et les maladies cardiaques. Mais après la ménopause, les risques de développer ces maladies sont très élevés.

Quelle est l’ampleur du retard à combler dans le domaine de la santé des femmes ?

Actuellement encore énorme. Ça s’explique parce que la recherche médicale a été pendant très longtemps dominée par les hommes. Ils ont aussi longtemps évité de faire des recherches sur les femmes pour les protéger, en raison des grossesses par exemple. Mais les femmes sont maintenant de plus en plus présentes dans la recherche médicale.

Comment l’informatique et la présence de plus de femmes dans cette branche peuvent-elles contribuer à équilibrer la perception des femmes et des hommes ?

On a déjà presque atteint l’équilibre dans la recherche médicale. En Suède par exemple, les femmes sont même surreprésentées, alors que d’autres pays en sont encore très loin. Dans l’IT, le déséquilibre est encore énorme. Les jeunes filles devraient être beaucoup plus encouragées à s’intéresser aux technologies pour contrer ce phénomène. Et la façon de penser différente des femmes devrait être valorisée. Si seules quelques femmes sont présentes dans un groupe d’hommes, elles sont souvent les outsiders et leur façon de penser n’est guère prise en compte. Bien entendu, il y a aussi beaucoup d’exceptions dans les deux sens. Mais la présence de plus de femmes permet d’augmenter la dynamique du groupe.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent se lancer ou se réorienter dans le secteur des technologies ?

Faites ce qui vous plaît et ne faites pas attention à ce que les autres peuvent penser de vous.

S’il existait une fée des technologies, lequel de vos souhaits pourrait-elle exaucer ?

Que le potentiel des wearables soit plus exploité. Ces technologies pourraient permettre de prédire des maladies et poser un diagnostic beaucoup plus tôt. Nous pourrions ainsi davantage prévenir les maladies au lieu de les guérir.

Women for Tech

Comment motiver des femmes talentueuses à s’orienter vers le secteur informatique et les technologies ? Par exemple avec des figures modèles. Dans notre série d’interviews « Women for Tech », Digicomp présente des femmes courageuses et créatives qui ne manqueront pas de vous inspirer.

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